- Attention, je mords ! -

Le soleil était haut dans le ciel dégagé, il devait être aux alentours de midi. Une douce brise faisait frémir la plaine peuplée de bisons.
Le troupeau comportait de nombreuses femelles pleines : c’était la saison des amours.
Dans cette masse sombre et compacte se fondait Wandering. Elle broutait paisiblement, comptant sur les imposants mammifères pour la prévenir d’un éventuel danger.

Mais à vrai dire, la chose que redoutait le plus la jument était ses chaleurs. Période favorite pour une poignée de chevaux, certainement pas pour elle.
D’humeur particulièrement massacrante, peu osé l’approcher. Tant mieux.

Wandering releva la tête, la bouche pleine d’herbe grasse, les oreilles en avant. Elle inspectait les alentours, et foudroyait du regard tous les étalons que ses yeux rencontraient. Généralement, ces messieurs peu expérimentés comprenaient le message et s’en allaient tête basse.
La jolie demoiselle s’en félicitait !

Saw avait galopé puissamment jusque là. Bien avant d'être à la vue de la jument il passa au trot, sachant exactement où elle était grâce à ses talents olfactifs ^^

Pourquoi avait-il galopé ainsi?

Non, ce n'était pas par pur attrait des chaleurs comme la plupart des mâles.
C'était parce que c'était.. C'était elle, voilà tout.
Depuis leur séparation il ne pensait qu'à elle.
Elle et sa robe d'ébene.
Elle et ses naseaux de velour
Elle et son regard d'émeraude
Elle..

Ses naseaux largement ouverts laissèrent entendre son souffle lorsqu'il apparut à découvert.
Elle était là, à une centaine de mètres, noire parmis la verdure.
Il s'arrêta, le coeur battant, la tête dressée.

Le regard de Wandering s’attarda sur une silhouette sombre à l’extérieur du troupeau de bison. Elle laissa tomber au sol la touffe d’herbe qu’elle mâchouillait, afin de s’adonner complètement à la contemplation de l’individu cuivrée.
Il n’avait pas du tout changé…
Néanmoins, une oreille de la jument se coucha, et l’autre resta au contraire, bien en évidence. Cela traduisait parfaitement ce qu’elle ressentait : elle était indécise, et ignorait quelle attitude adopter avec lui.

Lui, qu’elle ne pourrait jamais chassé d’un regard de travers.
Lui, qui était omniscient dans ses pensées.
Lui, tellement beau, tellement attirant…
Lui, Lui et Lui !!

Laissant parler son cœur, Wandering se détacha du cheptel sauvage et alla rejoindre Saw d’un pas sûr et déterminé.

L'étalon fut incroyablement rassuré.
Malgré sa confiance en lui, une partie de lui-même craignait de voir Wandering s'enfuir devant lui..
Mais non, elle venait.
De nouveau son demi-sourire vint éclairer son visage d'ordinaire si sérieux.

Oui, viens me rejoindre. Car quelque part je suis à toi et tu es à moi.
Ne crains pas mes instincts de reproducteur car pour moi l'idée de te manquer de respect est insupportable.
De même que je ne crains pas que tu me brise le coeur car je sais qu'au fond tu désire le préserver.

A son tour il prit le pas.
La sueur perlait à ses flancs, donnant des reflets luisants à sa robe, la transformant en statue de bronze.
Quant à Wandering..
Elle était magnifique, sous le soleil de l'après-midi.
Jusqu'alors il n'avait pu l'admirer que sous la lumière de la lune, mais aujourd'hui leur rendez-vous était avancé.

Arrivé à la hauteur de la jument, ses naseaux ronflèrent doucement en frôlant les siens, incapables de retenir leur émotion.

Wandering avançait, l’esprit libéré de toutes questions, la tête haute et le pas aérien. Sa queue soigneusement plaquée entre ses cuisses limitée la diffusion de ses chaleurs.
Elle voulait venir à lui, le toucher, le sentir… Pourquoi se priver ? La séparation en sera, certes, plus douloureuse, mais la vie est faite pour être vécue.
Une séparation… Il faudra bien. Elle ne pouvait pas aimer sans compter, du fait qu’une partie d’elle-même se soit envolée, cachée, loin dans un passé perdu.
Un nouvelle bonne raison pour le retrouver…

Que du bonheur… Voilà ce que lui offrait le splendide étalon cuivrée.
Wandering souffla tendrement dans ses naseaux, avant de s’imprégner définitivement de son odeur.
Si peu de temps s’était écoulé depuis leur dernière rencontre, mais il lui avait terriblement manqué.

Jamais les mots n’avaient été aussi superflus.
Une retrouvaille, sa ne se parle pas, sa se vit pleinement.

Et effectivement, Saw la vivait aussi pleinement qu'il en était capable.
Sans plus aucune retenue à présent sa langue parcourait le museau de Wandering. Ses lèvres, son bout de nez, rien n'était épargné.
Il avait l'impression de l'avoir perdue depuis des mois, alors que leur précédente rencontre n'avait eu lieu que quelques instants auparavant..
La masse conséquente de son corps était parcourue de délicieux frissons que seule Wandering avait le don de déclencher chez lui.

Non, il ne voulait pas la perdre définitivement.
Cela lui était inconcevable.
Et si elle le rejettait, tant pis. Il serait toujours là pour elle lorsqu'elle aura besoin de lui.
Même si elle se servait de lui, si elle ne venait le trouver que lorsque ça l'arrangeait, il serait là.
Mais une petite voix lui chuchotait que cela n'arriverait pas..

Deux petits mots restaient coincés dans la gorge de Wandering. Deux petits mots interdits pour elle, mais qu’elle comptait bien prononcer un jour.
Un jour peut-être…
Elle se laissa docilement choyée, soupirant de bonheur sous les tendres léchouilles de Saw. Elle les lui rendait entre deux coups de langues, se faisant douce et délicate.
Il n’avait qu’à l’effleurer pour provoquer en elle une vague de chaleur, et la faire vibrer de tout son être.

° Si seulement tu savais à quel point tu comptes pour moi… Tu es si exceptionnel qu’il ne pourrait en être autrement. ° Pensa-t-elle en fixant l’étalon droit dans les yeux.

Les bisons, seules témoins de la scène, broutaient paisiblement. Ils semblaient anémique tant leurs mouvements étaient lents et leur regard éteint. Néanmoins, ils savaient être pleins de vigueur lorsque la situation l’exigeait, et il était dangereux de sous-estimé leur force et leur endurance.
Il valait mieux les compter parmi nos allier…

Saw n'avait jamais dévoilé ses sentiments à qui que ce soit.
Cela lui paraissait tout à fait impossible aujourd'hui encore, même s'il les pensait très fort..

Pour l'instant, leur relation à demi-muette lui convenait tout à fait. Plus tard elle évoluerait sans doute, mais ils avaient le temps, tellement de temps..

Tandis qu'une femelle bison s'éloignait du troupeau discrètement, le ventre rond et secoué de tremblements, Saw commença à se méfier.
De toute évidence elle allait mettre bas.
Il serait souhaitable que cette mise bas n'attire pas de prédateurs .. Quoi que ceux-ci seraient sans-doute beaucoup plus attirés par le nouveau-né que par les équidés.
Cette pensée rassura Saw, bien que l'idée d'assister à la naissance et la mise à mort d'un bisonneau le même jour ne l'enchante pas beaucoup.
Par instinct il arrêta quelques instants ses caresses pour jeter un oeil aux alentours.

Wandering avait suivit le regard de Saw, et devinait ce qui le préoccupé. Si des prédateurs se pointaient, en plus de s’en prendre au petit, ils risqueraient fort d’affoler le troupeau. Hors, si ces pensées s’avéraient juste, la jument noire n’aimerait pas se trouver sur la trajectoire des imposants bisons.
D’un autre côté, si le couple s’éloignait davantage, il avait de grandes chances de croiser les carnivores. Fuir serait alors la meilleure solution.

Pour l’instant peu envieuse d’interrompre l’agréable manège de l’étalon, Wandering frotta avec modération sa tête contre la sienne.
« Ils ont peut-être des crocs, mais nous avons des jambes… » Fit-elle doucement remarquer à Saw. Après quoi elle s’employa à lécher affectueusement ses naseaux.

Sa queue, toujours fermement plaquée entre ses cuisses, offrait une barrière efficace contre ses chaleurs de moins en moins forte.

-Oui, répondit-il avec son demi-sourire, heureux de voir que la télépathie fonctionnait toujours aussi bien entre eux ^^
Passant sa tête par dessus l'encolure de la jument, il l'enlaça ainsi pendant quelques instants.
Evidemment, les chaleurs de la jument ne le laissaient pas indifférent. Evidemment, il aurait volontiers laissé libre cours à ses ardeurs ^^
Mais son corps restait de marbre.
Pas question de tout gâcher pour une simple saillie. Il était bien au dessus de cela.
Il fit descendre son menton le long des crins soyeux de Wandering, et attrapa avec douceur son garrot entre ses dents.
Il entreprit un doux massage, entrecoupé de lèches affectueuses.

Les naseaux de Wandering se dilatèrent, ses yeux se fermèrent, et des rêves encore inaccessibles s’immiscèrent dans son esprit.
C’était la première fois que l’étalon cuivré la touchait avec tant d’assurance. Ou plutôt, la première fois qu’on prenait soin d’elle, qu’on manifestait tant d’affection à son égard. Enfin, disons qu’elle ne possédait aucun souvenir semblable à cet instant.

L’équidé ébène découvrait la définition d’un nouveau mot : Intimité. Moment intense, secret, qu’on enfermait à double tour au fond de soi-même. Un réel baume passé sur le cœur...
La fine tête racée de la jument s’abaissa sous les agréables gratouilles de Saw. Jamais elle n’aurait deviné que le contact physique entre deux individus pouvait procurer autant de bien être.

Complètement relaxée, sa queue n’exerçait plus aucune pression sur son arrière main.

La relaxation de la jument faisait plaisir à Saw, qui ne l'avait jamais vu aussi détendue. Toutefois elle avait tendance à stimuler ses ardeurs de mâle, qui jusqu'à la rencontre de la jument étaient totalement enfouies au plus profond de lui-même. Il avait même cru qu'il n'aurait jamais de descendance, tant les juments ne l'attiraient pas.
Les voilà qui faisaient surface, le tiraillant comme le feraient des prédateurs harcelant leur proie pour l'avoir à l'usure..
Néanmoins il tenait bon, bien que redoutant que Wandering ne s'aperçoive de la tension qu'il ne parvenait pas à retenir entièrement.
Un bon galop lui aurait sans-doute permis d'évacuer tout ça. Mais la situation ne s'y pretait pas vraiment, et il n'avait pas du tout envie de gâcher ces moments intenses avec Wandering pour quelques sautes d'humeur de ses hormones !

Wandering rouvrit les yeux : était-ce une impression ou la mâchoire de Saw se crispait ? Après avoir attentivement observé l’étalon d’un œil soupçonneux, elle réalisa que ses chaleurs –malgré ses quelques efforts pour les contenir- ne le laissaient pas indifférent.
Un sourire discret s’étira alors sur les lèvres de la jument, un sourire à la fois sage et malicieux.
Qu’il était bon de se sentir convoité par l’être qu’on chérissait par-dessus tout…

Néanmoins, elle devinait que Saw menait un combat intérieur acharné contre ses pulsions, partagé entre ses sentiments et son instinct d’étalon. Il aurait été criminel de faire durer la tentation plus longtemps…
Aussi Wandering se redressa avant de plaquer fermement sa queue entre ses cuisses. Après quoi, elle proposa au puissant équidé de s’offrir un petit galop sur la plaine, afin de se s’aérer.

« Que dirais-tu de courir à la poursuite de l’horizon ? » Lui murmura-t-elle tendrement à l’oreille.

Il n'attendait que ça.
Cependant cette remarque lui fit soudain prendre conscience que la jument lisait vraiment en lui comme dans un livre..
Il eut son demi-sourire habituel, les yeux pétillants.
-Avec joie !
Il pivota sur ses postérieurs, face à présent à l'horizon dénua de tout relief.
A sa gauche les montagnes. A sa droite, les bisons.
Devant lui, rien que la liberté..
Ses membres le démangeaient, déjà il se réjouissait de la course folle qui attendait les deux équidés.

Wandering répondit par un sourire face à l’enthousiasme de l’étalon cuivré. Ses yeux caressèrent un instant le corps de celui-ci, avant de se reporter sur l’horizon.
Cette ligne horizontale lui semblait être comme son cœur : inaccessible. Du moins, se serait le cas tant qu’elle n’aurait pas retrouvé la mémoire.
En effet, comment pouvait-on aimer si l’on ne s’appréciait pas sois même ? Comment pouvait-on apprendre à connaître quelqu’un si sois même nous ignorions qui nous étions ?

C’est l’esprit embué par de nombreuses questions que la jument noire s’élança à la poursuite de l’inabordable horizon, qui représentait alors ses sentiments envers Saw…

Les sabots lourds de l'étalon se mirent à marteler le sol avec fougue. A chaque foulée, un ronflement s'échappait de ses naseaux dilatés. Ce n'était évidemment pas un ronflement de fatigue, mais de joie. La joie que lui procurait la vision de Wandering, galopant près de lui; celle d'avoir pu la toucher quelques instants auparavant..
Il évacuait toute la pression subie lors du grooming avec soulagement.
Parfois ses postérieurs volaient si haut qu'il avait l'impression qu'il allait tomber, mais ses 4 pieds finissaient toujours par toucher le sol avec une force considérable.
Les plaines entières raisonnaient du galop des deux chevaux, qui filaient comme le vent à côté des paisibles bisons, qui leur jettaient parfois des regards indignés ou intrigués.
L'encolure massive et brillante de Saw se balançait régulièrement, s'enroulait parfois pour gagner de la vitesse, mais il s'efforçait toujours de rester à la hauteur de la jument.
Ses naseaux détectèrent soudain une odeur vaguement connue.. Tout en galopant il aperçu du coin de l'oeil trois cowboys à cheval, à moins d'un kilomètre des chevaux.
Il lança un hennissement d'alerte, soudain tendu.

Wandering était fascinée par la puissance que dégageait le galop de Saw. Elle peinait pour rester à sa hauteur, mais sa seule présence, toute proche, suffisait pour lui conférer force et courage, la poussant à aller toujours plus loin, toujours plus vite.
Le paysage défilait à une allure hallucinante, les bisons se succédaient indéfiniment, le vent sifflait aux oreilles de la jument noire qui ne laissait paraître aucuns signes de fatigues. Du moins, pour le moment, car la cadence qui lui était imposé par l’étalon se trouvait être un chouilla trop élevé.

Soudain, quelque chose dans l’atmosphère changea. Une nouvelle odeur venait de se mêler aux autres, des effluves inconnues pour la demoiselle qui ralenti légèrement, intriguée.
Son regard ne tarda pas à trouver l’origine des odeurs : des chevaux chevauchés par d’étranges bipèdes.
Les doux naseaux de Wandering vibrèrent, manifestant sa curiosité, d’autant plus que finalement, cette odeur ne lui était pas totalement inconnue…

Les ronflements de Sa se transformèrent en grondement nerveux.
Son galop se rassembla, devenant beaucoup plus lent; mais l'étalon se soulevait avec puissance pour canaliser sa nervosité.
Ses oreilles pivotaient dans tous les sens, il ne voulait pas quitter les hommes des yeux. Il repassa au trot.
Si la jument s'arrêtait, il aviserait.
Si elle s'enfuyait, ce n'était pas plus mal. Il la saurait en securité. Quant à lui, il ne pouvait se résoudre à les quitter des yeux.
Quitter des yeux l'ennemi, c'était le meilleur moyen de se faire avoir, surtout par cet ennemi-là..
Passant au pas, il pivota sur ses épaules pour être face à eux, reculant soudain nerveusement, dévoilant le blanc de ses yeux lorsqu'il ssayait de les plisser pour mieux voir les hommes.

Wandering s’arrêta brusquement, peu après Saw. Son regard enveloppait l’ensemble des bipèdes sur leur chevaux, tandis que ses naseaux se dilataient lentement.
Il pleuvait.
La jument noire se déplaça de telle sorte qu’elle soit face aux étranges animaux.
Les sabots frappaient durement et nerveusement la roche.
Ses antérieurs se soulevèrent, elle se cabra légèrement, le cœur battant dans sa poitrine.
Des éclairs zébrés le ciel assombri par les nuages.
Wandering fit un pas en arrière lorsque les inconnus brandirent des cordes.
Des forment se découpaient dans le déluge, des silhouettes d’hommes.
Elle se cabra à nouveau, plus haut, plus méfiante…
La peur ce lisait dans les yeux de chacun d’eux.
Soudain, les étrangers s’élancèrent vers les chevaux, éperonnant leur monture.
Tous bondirent en avant, leurs corps fendaient le mur d’eau alors que la folie avait prit possession de leur jambes et de leur esprit inondé par la panique.
Wandering lâcha un hennissement plaintif, dévoilant le blanc de ses yeux, le souffle court. Elle jeta un regard empli d’effroi et de détresse sur Saw.

Ps : italique = Flash Back

Une alarme se mit à hurler dans la poitrine de Saw
Une attaque!!!
-COURS !!!
Il restait entre la jument et les cavaliers, galopant au rythme de Wandering, les naseaux si ouverts par le stress qu'on eut dit deux cratères insondables; ses pieds ne martelaient plus le sol: Ils s'envolaient littéralement.
Il voulait regarder derrière lui mais n'osait pas, il voulait se séparer de la jument pour qu'ils ne s'occupent que de lui et la laisse tranquille mais il avait peur qu'ils ne fassent l'inverse..
Alors il restait là, derrière la croupe bondissante de Wandering, à émettre des grognements furieux contre les bipèdes, les yeux à moitié aveuglés par la poussière que soulevait la jument..

» Me wala...Attention...
» Attention une bombe arrive!!!!!
» Attention buldozer au grand galop!!!!