Un soupir

Un soupir de lassitude?
De désespoir?
De bonheur?
Personne n'aurait su le dire.
Le visage de Saw ne laissait transparaître aucune émotion.
La pénombre envahissait peu à peu les lieux, tandis que les rayons qui émanaient de la lune perçaient le feuillage des arbres.
La forêt dormait.
Mais pas Saw.
Ni les innombrables habitants nocturnes qu'elle hébergeait..
L'étalon se tenait parfaitement immobile, telle une statue de marbre, tandis que ses yeux luisaient d'un éclat lunaire étrange.
Son chanfrein était quasiment vertical, caractéristique des étalons de cette envergure. Il était beau, c'était indéniable. Mais qu'attendait-il au juste?
Quelque chose, ou quelqu'un..
Elle?
Elle si froide, autant que lui, elle si distante, elle si belle ...
Viendrait-elle ?

Les arbres étendaient leurs longs bras feuillus, les mêmes qui offraient un abri sûr et douillet aux oiseaux. En contrepartie, ces derniers chantaient la journée durant.
Mais la nuit tombait, et les derniers choristes s’étaient tût. Ils s’apprêtaient à reposé leur voix tant que la forêt dormait.
Wandering tant qu’à elle, aurait aimé se reposer tout court, mais quelque chose, ou plutôt quelqu’un trottait dans sa tête.
Impossible de trouver le sommeil…

S’étant résignée à passer une nuit blanche, la demoiselle à la robe d’encre marchait d’un pas lourd.
Elle était quelque peu perturbée aussi. Ce n’était pas dans son habitude de se laisser envahir par des sentiments. Sentiments auxquels elle ne parvenait pas à accrocher d’étiquette : qu’étaient-ils ?
De la curiosité, probablement. Du moins, elle essayait de s’en convaincre.

Soudain, elle releva la tête et se stopa. Etait-ce sa vision qui lui jouait des tours, ou y avait-il bien cet étalon en face d’elle ?

La dame à la robe Noire se tenait devant lui.
Les éclats lunaires des yeux du mâle semblèrent redoubler d'intensité.

Etait-ce l'ambiance magique de cette nuit d'été?

Elle était pile à l'heure.
A l'heure où il l'avait vu, la veille.

Ses naseaux s'écartèrent légèrement, libérant un peu plus de souffle qu'à son habitude.
Cette fois-ci il ne dérourna pas le regard.
Il ne distinguait des yeux de la jument que deux reflets blancs, mais il savait qu'ils étaient fixés sur lui.

Il ne lui avait jamais adressé la parole.
Il n'avait jamais entendu le son de sa voix.
Pourtant il savait ce qu'elle lui disait..
"Ne me parle pas. C'est moi qui le ferais... Peut-être."

Le mâle ne dit pas un mot. Il ne bougea pas d'un millimètre.
Il l'avait attendu et elle était venue .
C'était tout ce qui comptait à présent.
Amour ou fascination? Peu lui importait.

Oui c’était bien lui.
Les délicats naseaux de Wandering se dilatèrent, humant le délicieux parfum que l’étalon dégageait.
Aucun doute n’était possible. Pour une fois que la jument se trouvait être certaine d’une chose…
Elle l’observa longuement, silencieusement, et il en faisait de même. Il n’y avait aucun mot, pourtant, ils dialoguaient. Une discussion où seuls les sentiments et les impressions s’échangeaient.

« Tu m’empêches de dormir. » Dit une voix posée et calme.
Des mots ? Oui. Les premiers que prononça Wandering depuis son arrivée. Cette phrase, si simple, disait peut-être tout à la fois : ‘ Tu monopolises mes pensées, tu les restreints à toi seulement. ‘, ‘ Tu me fascines ‘, ‘ Qui es-tu donc ? ‘, ‘Vois-tu, je te tutoies, j’ai appris à te connaître sans te côtoyer ‘.

Le vent anima les arbres alentours, leurs branchent s’entrechoquèrent.
La jument ébène frissonna.

Un sourire en coin vint s'esquisser sur le visage de l'étalon.
Ce demi-sourire qui ne lui fit rien perdre de sa prestance, mais y ajouta une pointe de charme.
Il y eut un court silence, avant que sa voix grave se fasse entendre.
-Ainsi je ne suis pas seul dans cette situation.
Tu m'obsède.
Tu es belle.
Je veux percer tes mystères.
Laisse-moi entrer dans ton monde.
Mais ces phrases crues et sincères à la fois ne dépassèrent pas la barrière de ses lèvres.
Une question, pourtant, réussis à s'en extirper.
-Dis-moi ton nom.
Pas une question. Un ordre.
A moins qu'il ne soit déjà en train de la supplier?
C'était les deux à la fois, sans doute.
Les membres du mâles ne demandaient qu'à avancer, venir vers le corps frissonnant de la Belle, laisser ses naseaux sentir son odeur d'encore plus près, peut-être même la toucher..
Mais rien ne bougeait pourtant. Il conservait son immobilité, les yeux toujours fixés sur ceux de Wandering.

Wandering se perdait dans le regard ténébreux de l’étalon. Il possédait un charme très particulier, quelque chose d’à la fois pudique, réservé, et cynique.
Alors qu’elle se risquait à mettre des mots sur les impressions que lui faisait le bel inconnu, celui-ci s’exprima.
Il voulait savoir son nom tout simplement.
Un ordre…Son nom…

La jument ébène se heurta durement à la réalité.
En face d’elle se trouvait un parfait inconnu.
En face d’elle un étalon qu’elle ne connaissait pas encore hier.
Et voilà qu’elle se pliait à ses ordres, celle du premier venu ? Elle, Wandering, qui jusque là était resté fidèle à elle-même ?

Fidèle à elle même… Qui était-elle ? Depuis que sa mémoire l’avait abandonné, elle l’ignorait.
Mais cela ne la pardonnait pas, elle ne devait jamais baisser sa garde, jamais…

Wandering secoua vivement son encolure avant de planter son regard dans celui de son interlocuteur, franche et fière.
« Je ne l’ai jamais révélé à personne, pourquoi serais-tu le premier ? » Lui demanda-t-elle sèchement.

° Parce qu’il est diaboliquement beau et attirant, autant physiquement que psychologiquement. ° Répondit une voix dans sa tête au tac au tac.

Le mâle soutaint son regard, parcouru d'un délicieux frisson en voyant l'expression qu'avait la jument.
A la fois agressive et suppliante.
Il était persuadé que quelque part....
-....Tu le sais bien, fit-il dans un souffle.
Non, pas besoin de lui expliquer longuement pourquoi. Elle connaissait la réponse. Elle voulait juste préserver son caractère.. Et il ne voulait pas le lui enlever.
Il n'avait pas pour prétention de vouloir apprivoiser la jument qui se tenait devant lui..
Il voulait autre chose.. Quelque chose de bien plus profond.. Au début il se demandait ce qu'il cherchait, mais il avait trouvé dès qu'il fut transpercé l'expression nouvelle qu'il avait vu dans les yeux noirs de Wandering.
Oui, à présent, il en était tout à fait certain.

° Possible… ° Se dit-elle silencieusement, ne pouvant se résoudre à le dire à voix haute.

Wandering ne le lâchait plus des yeux. Malgré tout ses efforts, elle ne parvenait pas à saisir le fond de ses pensées.
S’amusait-il avec qu’elle comme il l’aurait fait avec tant d’autres ?
Pourquoi restait-elle en ces lieux ?
A cause de son arrogance ? De sa fierté ?

Elle le fixa longuement, intensément, en prenant garde de ne laisser transparaître aucune de ses émotions. Probablement inutile, car s’il arrivait à la déstabiliser ainsi, c’était qu’il lisait en elle comme dans un livre ouvert.
…
Non. Il ne jouait pas…

Un sourire en coin apparut finalement sur ses lèvres, qui formulèrent le mot suivant :
« Wandering. »
Elle n’avait produit aucun effort physique, pourtant, son cœur s’emballa : s’était pour elle un grand pas en avant.

Le sourire en coin de Saw sembla se renforcer.
Il avança de deux pas vers la jument, tout en répétant ce prénom d'un air pensif.
Ce mot restera gravé en lui, il y pensera chaque seconde de sa vie, et il emplira son coeur d'allégresse. Pourtant il se contenta de dire:
-Je ne l'oublirais pas.
Il fit un autre pas, semblant se déplacer sans toucher le sol.

Ne recule pas
Reste
Laisse-moi venir à toi
Ne te pose plus de questions

Une fois de plus il n'avait rien dit, pourtant il savait qu'elle l'avait entendu.
Bientôt il fut à la hauteur de la jument, ses naseaux pouvant presque toucher les siens ..

Wandering arqua son encolure, retardant l’instant ou ses naseaux effleurèrent ceux de l’étalon. Elle vibra de tout son être.
Son antérieur droit frappa le sol avec force, traduisant son mal aise à ce moment précis.
Tout allait si vite…
Mais pourquoi retarder l’inévitable ?
Sa petite langue rose alla lécher la commissure des lèvres du charmant inconnu, cherchant peut-être à le provoquer dans un élan de malice.

« Ton nom… Donne le moi. » Lui susurra-t-elle en soufflant délicatement dans ses oreilles. Pour cela, elle avait du se grandir, car il la dépassait largement.
Son cœur battait la chamade, et à chacun de ses battements, elle sentait un sentiment grandir en elle, un sentiment envers ce mystérieux étalon.

Décidemment, cette nuit, Wandering se surprenait.

Frissonnant lui aussi, Saw sentit son poil se dresser sur tout son corps sous le contact de la langue de la jument.
Sans réfléchir il mordilla l'oreille noire qui le narguait depuis trop longtemps, soufflant légèrement dedans, et murmura simplement
-Saw.
Ceci fait, il ramena sa bouche aux naseaux de Wandering. Il avait l'impression de toucher le plus doux velour imaginable.
Il avait une foule de questions à poser à la jument, dont il ne connaissait rien de ce qui concernait son passé, mais il était exclut de les lui poser ce soir là. Peut-être même qu'il ne les lui poserait jamais.
Il avait en vérité l'impression que le moindre geste, le moindre mot pas placé au bon moment ou de la bonne façon pouvait faire fuir la jument.. Et qu'il ne la retrouverait alors jamais.

Saw…
Un nouveau frison parcouru son échine.
Déjà, elle enfouissait ce mot au fond de son âme et le grava dans son cœur. Sa au moins, elle ne l’oublierait jamais, elle en était certaine.
Elle leva lentement les yeux et observa l’étalon, muette et contemplative.
° Bientôt, tu feras parti de mon passé, mais je m’efforcerai de ne pas t’oublier quoi qu’il arrive. Pas toi… °

Wandaring sentit son cœur se serrer lorsqu’elle réalisa qu’elle ne pourrait jamais s’engager dans la vie, pas tant qu’elle resterait dans l’ignorance.
Elle n’avait pas d’identité, et à part son enveloppe charnelle, elle n’avait rien de plus à offrir à Saw, ou à tous autres individus. Hors, elle voulait donner plus que cela…

° Si je me retrouve un jour, tu auras étais ma lanterne l’espace d’une nuit... Ce sera grâce à toi. Sache que je ne suis pas ingrate. ° Songea-t-elle en enfouissant son museau dans les crins de Saw.

Aucun mot ne franchis le seuil de sa bouche, il comprenait, il comprendrait…

L'étalon posa son menton sur le garrot fin de la jument. Il ferma les yeux dans ce qui lui sembla n'être qu'une ou deux secondes, mais lorsqu'il les réouvrit...
Entre les arbres, la lune se faisait moins intense car elle laissait peu à peu place au jour.
La nuit touchait à sa fin ..
Il allait être temps de partir.
Les insectes de nuit commençaient à se taire, et les premiers chants des oiseaux retentissaient. Bientôt se fut le soleil qui perçait les branches épaisses des sous-bois.
La robe de Sa perdit toute sa noirceur, pour reprendre ses aspects cuivrés si intenses.
Se redressant, il appuya un instant son museau contre celui de la jument.
-Tu sauras me trouver, murmura-t-il en plongeant ses yeux dans les siens.
Puis il recula sans la quitter du regard. Bientôt il se retournerait et ne garderait de la jument que ces souvenirs merveilleux et la promesse de la revoir un jour..

Wandaring avait passé la nuit blottit contre Saw. Sans doute la plus merveilleuse qu’elle n’avait jamais vécu…

Le bel étalon apparaissait sous un nouveau jour : sa robe hier encore noir comme le charbon se trouvait être maintenant cuivrée. Ce n’était pas pour déplaire à la jument, qui garderait de lui une image tout à fait… splendide.

« N’ai crainte, je te trouverai le moment venu. »

Le regard de Wandering se noyait dans celui de Saw.
Sa faisait mal, mais il le fallait…

« Pars… »

Le regard de Saw s'attarda encore quelques secondes sur la jument.
Puis il secoua très légèrement la tête, comme pour se forcer à s'en détacher, et fit volte face sur ses postérieurs.
Tournant le dos à présent à Wandering, il faisait maintenant face au discret sentier creusé entre les arbres.
Cela ne dura qu'une seconde avant qu'il ne prenne un galop aérien, pour être sûr de ne pas faire demi-tour. Plus vite il serait loin de Wandering, moins il avait de chances de craquer.
Pourquoi cette torture?
Pourquoi se saignait-il le coeur volontairement?
Parce qu'il savait.
Il savait que la jument avait besoin de se remettre de cette nuit si particulière.. Qu'elle avait besoin de réfléchir seule. De décider de leur prochaine rencontre, si prochaine rencontre il y avait..
Et peu à peu il disparut dans le sous-bois; ne sachant pas vraiment de toutes façons où cela le menerait.

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